Le Sanglier de l’Auvière
Début septembre, un grand champ de vignes
bordé d’oliviers au pied d’une colline.
Des chênes verts.
Des chênes blancs.
Les feuilles de vignes aux pourtours mordorés
frémissent sous le petit mistral.
Lieu dit l’Auvière, terre sèche,
pierreuse, jaunie sur fond de ciel bleu.
Ce matin la rosée perle sur les feuilles.
Une légère brume, il fait froid.
Les vendanges n’ont pas commencé,
des grappes rouges pendent, telles des bijoux,
remplies de jus sucré par le soleil.
Cette nuit, le champ a été labouré en boutis
par quatre pieds aux ongles durs.
Un groin a fouillé le sol des sillons
et par endroits, quelques restes
de grappes écrasées et sanguinolentes.
Midi, la rosée matinale a disparu.
L’air, chauffé par le soleil est pur.
Comme chaque jour le papé Guy, sur son vieux vélo,
fait la tournée des vignes,
surveillant le degré d’alcool
du jus des raisins avant la vendange.
Une pie s’échappe du champ de vignes.
Le papé descend de son vélo,
l’appuie sur le tronc d’un vieil olivier
La pie a prévenu !
Le sanglier est passé à l’Auvière.
La chasse est ouverte depuis quelques jours.
Encore un solitaire ! pense Guy en se penchant
sur les traces encore fraîches.
Au sommet de la colline, sous les chênes,
le sanglier solitaire dort,
caché par un muret de pierres
protégeant un lit de broussailles sèches et odorantes.
Depuis l’an dernier il a découvert l’Auvière.
Terre de nourriture où l’homme ennemi
est occupé aux tâches vigneronnes.
Les chiens courants ne flairent pas son refuge
car le vent éloigne ses odeurs.
Malgré sa masse imposante
il réussit à ne pas être vu.
Ses yeux noirs et ses narines frémissantes
savent repérer l’approche des prédateurs.
Papé Guy n’est pas surpris
des trous sur ses terres.
Il sait qu’à chaque approche de l’automne
il découvre les traces d’une présence animale.
Son envie est forte de décrocher son fusil
et au matin, d’attendre le passage du sanglier.
Mais, cette fois, il veut l’observer en train de
descendre de la colline, renifler, gratter le sol,
entendre ses pas, son grognement et le bruit de
la terre soulevée par ses deux défenses acérées.
Cette nuit, pense-t-il,
la lune éclairera les rangs de vignes
sans trop faire d’ombres.
Plus loin, sur une autre colline, au sud,
le château de La Verdière forme un décor irréel,
la scène d’un théâtre où la vie est en cause,
son bien, et où l’animal sauvage, soucieux
de sa survie ne fait pas de différence
entre les bois de chênes et les champs de vignes.
Tout lui appartient de naissance
et si la vigne est bonne, les plantes des collines aussi.
La nuit tombe lentement.
Les sauterelles ne chantent plus.
L’air chaud sent le thym et le romarin.
Papé Guy a fermé la porte du cabanon
placé face au champ de vignes.
Un petit « fenestron » permet d’observer.
Jaune, la lune envoie une lumière froide.
L’air se rafraîchit vite.
Le sanglier ne passera dans les vignes
qu’au petit matin. Le papé Guy s’endort,
assis, face au champ à l’intérieur du cabanon.
En haut de la colline, le sanglier de l’Auvière,
depuis le lever de la lune,
commence sa quête de nourriture.
Sa masse lourde ondule avec agilité autour des arbres,
ses pieds s’appuient délicatement
sur les pierres instables.
Il descend doucement vers les vignes
La lune éclaire maintenant les murs du château.
Un rayon traverse le cabanon et tombe
sur le visage endormi du papé.
Il ne lui faut pas longtemps pour se réveiller.
Et là ! entre deux rangées de vignes,
une masse sombre frôle les feuilles,
fouille le rang et mord les grappes sans distinction.
Les yeux du papé Guy brillent sous la lune.
Le sanglier de l’Auvière avance hors des rangs.
Son corps brille sous les rayons de lune.
Il redresse la tête.
Ses yeux petits et protégés par des paupières
sombres discernent dans le cabanon le regard du
papé. Prêtes à fuir, ses jambes courtes
se raidissent . Rien ne bouge.
Le papé hypnotisé ne cligne pas des yeux.
Là, à deux mètres, le sanglier de l’Auvière
Le regarde.
Quel bel animal pense-t-il !
Il me détruit quelques grappes de vignes
mais j’ai besoin de le voir vivant.
Il me montre que je ne suis pas seul
à bénéficier de cette nature.
Le sanglier de l’Auvière hésite.
Il connaît le bruit des hommes,
la détonation et les cris des chiens !
Mais là ! rien.
Rien que ce regard porté vers lui
sans haine.
Pardon l’homme de manger tes grappes
mais je le dois pour survivre.
Le papé ferme les yeux.
Le sanglier de l’Auviére se retourne et
dans une course rapide rejoint
sa colline et les bois de chênes.
FIN
( la copie ou l'utilisation de ce texte est interdite sans l'autorisation de l'auteur)